Les effets de la peur dans l’Antiquité gréco-romaine
Depuis les travaux de Jean Delumeau sur la peur en Occident[1], il existe de nombreuses études sur l’histoire de cette émotion. Ce n’est pourtant que récemment que cette approche a suscité un intérêt croissant pour les périodes anciennes et en particulier l’Antiquité grécoromaine[2]. Bien que les Anciens la considèrent comme une passion négative de l’être humain qu’il faut combattre, elle peut aussi être source de légitimation pour une personne, de plaisirs, de soin ou d’éducation. Elle peut assaillir un individu ou l’ensemble d’une société. De fait, les effets de la peur sont multiples. Par effet, nous devons entendre la ou les conséquence(s) qui découle(nt) de la manifestation ou de l’expression d’une peur. Cette journée d’étude propose d’explorer les marques, l’influence voire l’emprise que put exercer cette émotion sur les hommes et leurs communautés.
Elle ne s’intéressera en effet pas aux origines de la peur et à son vocabulaire, qui ont déjà fait l’objet de nombreux travaux. Le colloque Peurs antiques organisé par Sandrine CoinLongeray et Daniel Vallat[3] a en particulier développé cette approche. De même, cette journée d’étude ne s’intéressera pas au thème de la peur et à son évolution dans la littérature grécoromaine, qui ont déjà été à l’origine de nombreuses recherches. François Le Pénuizic a mis en évidence l’existence de moments et de lieux propres à créer la peur dans un récit comme les montagnes, les Enfers, la nuit ou bien encore la tempête. De plus, il démontre que les auteurs ont recours aux techniques de l’art oratoire pour tenter d’effrayer les auditeurs et/ou les lecteurs[4]. Étudier les effets de la peur par ailleurs ouvre d’autres perspectives que l’analyse de ses multiples usages qui ont alimenté la seconde partie du récent ouvrage dirigé par Maria
Patera, Stavros Perentidis et Jenny Wallensten sur La peur chez les Grecs[5]. La peur n’est pas seulement une émotion appartenant à l’arsenal d’un État ou d’un particulier cherchant à assurer son avantage ou sa domination par son emploi. Elle a le pouvoir de se glisser dans les rapports sociaux et politiques sans que leurs acteurs aient pris soin de l’y insérer de manière consciente. En outre, l’effet désiré n’est pas forcément l’effet obtenu. Dans le domaine des rapports de pouvoir et des confrontations entre États dans le monde grec, on pense évidemment au « piège de Thucydide » que Graham Allison a tenté d’appliquer aux dynamiques des relations internationales contemporaines[6]. À l’époque classique, Thucydide définit la peur comme l’assise et l’origine de la domination et de la guerre : une cité hégémonique tient son pouvoir de cette émotion, mais ce dernier se trouve également menacé par elle, les cités se retrouvent finalement piégées dans un cycle infernal poussant régulièrement à prendre les armes. Si le constat thucydidéen a pu être critiqué[7], car négligeant certaines méthodes de résolution des conflits employées par les Grecs, il garde néanmoins une grande valeur[8]. Le problème du « piège de Thucydide » mériterait notamment de sortir du cadre de l’époque classique et de l’espace égéen. Il pourrait aussi inspirer des approches délaissant l’histoire des États et de leurs querelles pour plonger au cœur des communautés et s’intéresser aux autres rapports sociaux. Dans le cadre de son étude sur les massacres à la fin de la République romaine, Nathalie Barrandon montre que Sylla cherche à éviter le chaos lorsqu’il met en place le système des proscriptions. Mais la mesure eut l’effet inverse. On assista à un déchaînement de violence qui terrifia les Romains[9]. L’étude des effets de la peur peut prendre en compte les préoccupations autour de l’histoire du corps. Sous le régime impérial, Michèle Coltelloni-Trannoy affirme que la peur joue un rôle sur la représentation du corps du souverain. Elle constate une même structure narrative pour justifier la mort des mauvais empereurs. Lorsque ce dernier s’appuie trop sur la peur pour gouverner, il est progressivement assimilé à un tyran et son corps est décrit comme celui d’un monstre en raison de ses nombreux défauts physiques. Le meurtre du tyran est justifié par la mise à mort d’une créature qui souille la cité[10]. En dehors de l’action politique, l’expression de la peur peut enfin remettre en cause des valeurs fondamentales dans le monde gréco-romain et avoir pour conséquence une remise en cause de la place de l’individu au sein de sa cité[11].
Il apparaît ainsi que les effets de la peur touchent des domaines très variés de la société gréco-romaine. Il reste à en explorer les mécanismes et la puissance de leur emprise. Il ne faut pas non plus négliger le fait que la peur peut être provoquée afin de remplir un objectif précis grâce aux conséquences qu’elle inspire sur les personnes ciblées. La réponse apportée par un individu ou des autorités politiques et/ou religieuses pour gérer et soigner un individu ou l’ensemble de la société sous l’emprise de la peur peut également intégrer l’approche ici proposée. Enfin, existe-t-il des différences entre les Grecs et les Romains ? Constate-t-on des évolutions sur la longue durée autour d’un effet en particulier ? Nombre d’approches peuvent apporter quelques éléments de réponse et trouver leur place dans cette journée d’étude sur « les effets de la peur dans l’Antiquité gréco-romaine ».
Pistes de réflexion :
- Les effets de la peur sur les sociétés.
- Les effets de la peur sur les rapports politiques.
- Les effets de la peur sur les corps et/ou les esprits : traces, marques, mises en place de comportements particuliers.
Organisation matérielle
La journée d’études se tiendra le 3 avril 2025 dans l’EREA Antoine de Saint-Exupéry à Berck (88 av. Saint-Exupéry, Berck, 62600). Les frais de déplacement sont à la charge des participants.